vendredi 13 février 2015

Des enseignants attaquent deux vieux moines dans une commune des Alpes-Maritimes ! le Maire est scandalisé ...

Ce titre rédigé à la manière des unes de tabloïds est un clin d’œil à une affaire qui est survenue
récemment dans une ville proche de Grasse, dans les Alpes-Maritimes : Peymeinade. Relayée par la presse locale (ci-dessous), elle a eu un impact non seulement dans le public de la région, mais aussi parmi des amis héraldistes de grande renom qui ont pris leur plume pour exprimer leur désapprobation, le mot est faible, plutôt une grosse colère, car c'est leur activité intellectuelle, artistique et culturelle, sinon leur métier, qui est attaqué indirectement ! Je les comprends.
cliquer sur l'image pour agrandir et lire plus confortablement l'article du quotidien Nice-Matin daté du 9 février 2015
le blason incriminé : commune de Peymeinade (Alpes-Maritimes) :
"d’argent à l’écusson d’azur chargé d’une croix du champ, accosté et supporté
par deux moines affrontés de carnation, habillés d’une bure au naturel et posés
sur une terrasse isolée de sinople, celui de dextre tenant dans sa main dextre
une faucille renversée d’argent et celui de senestre tenant de sa main senestre
 une houe du même, le fer reposant à terre ".
  Ces braves moines qui font penser à un célèbre fromage (pardon, mais c'est trop bon !) qui pourrait bien lui aussi subir le même sort dans la cantine de ce collège, proviennent de l'ancienne Abbaye de Lérins, au large de Cannes et sont là depuis plus de cinquante ans sur les façades, le mobilier urbain et les documents de cette sympathique cité du pays de Grasse.



  Ils ne faisaient de mal à personne et voilà qu'on leur dit "vade retro", vous ne pénétrerez pas dans les écoles publiques de la commune. Enfin ce sont des enseignants qui se sont insurgés, brandissant les règles de laïcité dans les écoles de la République. On ne sait pas ce que pensent les parents d'élèves ! probablement une minorité est dans la même mouvance, les autres devant répondre qu'ils ont toujours vu ce blason ainsi, dans leur ville, qu'ils n'y font même plus attention, et que cela ne les choque pas davantage. Et donc le maire, attaqué au premier chef par l’invective, en reprenant les rôles de Don Camillo et Peponne à l'envers ! se défend avec courage et de bons arguments :

« Les bras m'en tombent »

Le maire sort de ses gonds : « Aujourd'hui, la laïcité est servie à toutes les sauces. Ce blason est une référence historique incontournable de la ville. On le voit partout. Et ça n'a jamais posé de problèmes. Si on en arrive là, je crains le pire. Franchement, c'est une tempête dans un verre d'eau, un faux débat, à moins d'avoir l'esprit affaibli !(...)Je ne céderais pas ! À ce compte-là, tant qu'on y est, pourquoi ne pas débaptiser tous les hameaux de Grasse, Saint-Antoine, Saint-Mathieu, Saint-François, etc. ? », s'emporte-t-il.



 Bon, l'incendie est semble-t-il circonscris à l'enceinte du domaine scolaire et n'est pas propagé ailleurs dans la ville, semble-t-il, à la mairie par exemple : c'est un moindre mal qui devrait se régler facilement avec l'usage d'un logo. La commune en a déjà un, nous le voyons sur le site internet officiel :


D'ailleurs à côté du logo, le blason communal, en silhouette transparente monochrome, a déjà été quelque peu auto-censuré semble-t-il, pour diminuer son impact visuel.

Si une révolte éclatait dans la ville contre ces pauvres moines victimes du dogme de la laïcité qui commence à empoisonner le vivre ensemble un peu partout, y compris avec les communautarismes, le conseil municipal pourrait revenir à son ancien blason, qui a peut-être été oublié :

premier blason de la nouvelle commune de Peymeinade, créée en 1868,
extrait du livre : "Armoiries et Institutions des communes des Alpes-Maritimes, du Comté
 de Nice et de la Principauté de Monaco, de Pierre-Jean Ciaudo (éditions Alp'Azur, 1978)

  Mais il faudrait être sûr que l'adoption d'anciennes armes seigneuriales de l'Ancien Régime ne pose pas de problème à nos défenseurs des valeurs de la République jacobins !

 L'incident n'est pas bien grave en soi, mais il dénote tout de même un gros malaise du vivre ensemble dans notre société multiculturelle et multi-cultuelle, y compris les athées, les agnostiques, les anarchistes, etc... L'hyper-médiatisation du moindre fait et le buzz permanent n'arrangent rien à l'affaire

  Ceci dit, changer le blason historique d'une commune pour satisfaire les exigences, sans doute respectables, mais minoritaires de quelques personnes, pour des raisons de sensibilités religieuses, politiques, philosophiques ou culturelles, semble vain et voué à l'échec. Mais il y a eu des cas d'école  (exemple : la suppression récente de la tête de maure à Castelsarrasin, qui du coup perd son caractère d'armes parlantes).  Et pour la Corse, que fait-on ?
ancien blason de Catelsarrasin
(France, Tarn-et-Garonne)
nouveau et actuel blason de
Castelsarrasin
  Pour ce qui est de la création et de l'adoption de nouveaux emblèmes, blasons ou logos, mais plutôt des blasons évidemment, les collectivités locales, communes, associations, institutions publiques et mêmes des entreprises privées devront faire preuve de prudence à l'avenir, c'est ainsi, les temps changent et l’héraldique doit aussi s'adapter si on ne veut pas voir encore davantage de logos insipides orner les panneaux d'informations et le mobilier urbain.

  Il y a quelques années, j'avais écrit une chronique sur des faits similaires à ceux de Peymeinade, mais concernant l'adoption de tout nouveaux blasons, notamment à Pornic (44), voir → ICI  où la haine, l'intolérance et surtout la mauvaise foi, ou le manque de discernement sur l'importance du problème faisaient déjà froid dans le dos !

  En tout état de cause, il faut rappeler que pour la France, en application de la loi du 5 avril 1884, les communes disposent de la souveraineté totale en matière d'armoiries. La délibération du Conseil municipal, qui en aura accepté la composition, est l'acte officiel par lequel le blason communal acquiert son existence légale. Il s'ensuit que la description de ce blason, qui figure au texte de la délibération, devient la description officielle de ces armoiries.
 Pour la composition de son blason, la commune peut faire appel à tout érudit ou artiste de son choix. Il lui est recommandé de s'adresser à des dessinateurs de qualité, au courant des règles de l'héraldique. Les communes sont vivement invitées à s'adresser au directeur des archives de leur département, qui sera en mesure de leur apporter d'utiles précisions.
  La Commission nationale d'héraldique, dont le statut et la composition ont été précisés par décision ministérielle du 14 décembre 1999, est le seul organisme public à exercer officiellement une mission de conseil. Elle examine les dossiers qui lui sont soumis par les collectivités territoriales. Le cas échéant, elle propose à ces collectivités des modifications pour tenir compte des règles traditionnelles de l'héraldique, ou pour éviter, dans la mesure du possible, toute confusion avec d'autres blasons déjà existant. Son rôle demeure cependant seulement consultatif. Ses services sont évidemment sans frais.

Mais il existe d'autres organisations, avec un statut d'association de type loi 1901, qui conseilleront particuliers, associations, collectivités, communes, contre le paiement de frais de dossier :
• au niveau national : le Conseil français d'Héraldique. 


• au niveau départemental,  par exemple dans le département de la Loire (42), mais il y en a dans d'autres départements : la Conférence permanente d’héraldique de la Loire où siègent des artistes érudits de grand talent, ils se reconnaitront !

 Voici encore, édité par la Commission nationale d'héraldique, ici → , un guide à l'usage des communes pour se confectionner un blason et des armoiries dans les règles de l'art. Elle est composée de sommités dans le domaine de l'histoire des symboles, des emblèmes et de l'héraldique tels que Michel Pastoureau ou Édouard Secrétan. A aucun moment dans ces lignes, il est préconisé aux conseils municipaux d'éviter les figures d'inspiration ou à caractère religieux, quelle que soit la religion concernée. C'est après, en délibération, selon la sensibilité des membres du conseil, avec l'assentiment de la population, c'est plutôt préférable, puisque c'est une image qui va représenter la commune, que les symboles et figures composant le blason devront être d'abord jugés recevables et convenables pour l'ensemble des contribuables.

La laïcité est certes un des piliers de la République française par les valeurs amenées par la Révolution de 1789 et les diverses lois votées pour la consolider jusqu'à ce jour. Mais il n'est pas possible culturellement de faire table rase du passé religieux de la France, qui est son patrimoine, dans ses armoiries territoriales, tout aussi bien que ses cathédrales ou ses palais royaux. 

Pour compléter l'information, voici les articles de presse et blogs sur Internet :
Nice-Matin
Nice-Provence Infos
Armorial de France, blog

Crédits :
article de journal : Denis Joulain
inspiration : mails de Denis Joulain et Jean-Paul Fernon
blasons empruntés à:
- armorialdefrance.fr  (auteur : Daniel Juric)
- www.labanquedublason2.com ( auteurs : J-P. de Gassowski, Jean-Paul Fernon)
- www.peymeinade.fr
- conseil-francais-d-heraldique.com
+ livre : Armoiries et Institutions des communes des Alpes-Maritimes, du Comté de Nice et de la Principauté de Monaco, de Pierre-Jean Ciaudo (éditions Alp'Azur, 1978)




1 commentaire:

  1. Loi communale de 1884. Un point, c'est tout. Une loi existe, elle s'applique.

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